II.
"– "Mais, comme te voilà beau, comme te voilà gras, comme te voilà
fleuri !" continuait d’Artagnan infatigable à détailler les changements que
la bonne fortune avait apportés chez l’ancien affamé."
Alexandre DUMAS
Vingt ans après
Robert se
levait toujours avant l’aube. La grande aiguille de son réveille-matin marquait
presque la demie de cinq heures. C’était exceptionnel. Se lever à six heures,
pour un fermier comme lui, cela revenait pratiquement à faire la grasse
matinée...
Son travail de la journée réclamait qu’il
veille tout de suite à ce que les animaux de sa ferme soient bien rassasiés,
bien nourris – et bien disposés à être nourris encore davantage, les jours
suivants. Robert voulait que ses cochons montrent un bel appétit à toute heure.
Ils seraient d’autant mieux disposés à se remplir le ventre, de jour en jour,
pour devenir plus gros et gras, parfaitement bien en chairs.
– "Allez, debout ! Les cochons vont pas s’engraisser tous
seuls..."
En se tournant d’un mouvement brusque dans
son lit, avant de se lever, Robert ne pensait pas seulement à la centaine de
beaux cochons bien ronds et roses qu’il gardait dans les bâtiments autour du
corps de ferme qui les dominait de ses trois étages, mais à un jeune et beau
cochon, bien dodu et joliment bronzé – pas encore assez rond à son goût mais
qui promettait de rattraper son retard dès que possible.
Contrairement à son attente, il ne le trouva
pas à portée de main. En se levant, Robert s’aperçut que Quentin n’était plus à
côté de lui dans le lit.
– "Il n’est quand même pas
retourné dormir dans sa chambre..."
En effet, la chambre était vide où le jeune
vagabond avait dormi pendant plusieurs semaines – jusqu’à cette soirée que
Robert ne devait plus jamais oublier, où il avait accepté de s’occuper de lui
comme du plus important de ses cochons. Le lit n’était même pas défait.
– "Il est
descendu pour le petit-déjeuner ?" Robert descendit l’escalier en
grommelant. "Il aurait pu me réveiller, on aurait pas perdu de temps."
La porte de la cuisine était entr’ouverte, et
le fermier sentit un vague courant d’air caresser son visage. La cuisine et
toutes les pièces de sa maison avaient pourtant été bien fermées pour la nuit,
comme chaque soir – portes, fenêtres et contrevents.
– "Quentin ?"
Robert n’obtint pas de réponse, mais le jeune
homme était bien là. Il le trouva ainsi, le dos tourné, assis sur sa chaise
près de la table et un peu replié sur lui-même. Quentin était entièrement nu, bien
sûr, ce qui fit grogner le fermier doucement.
– "Eh ben ! Qu’est-ce que tu fais là,
tout seul ?"
– "Rien..." répondit Quentin, d’une
voix pâle. "Rien..."
En posant sa main sur son épaule, Robert
comprit pourquoi il lui avait semblé presque roulé en boule, inconfortablement
assis sur sa chaise. Le jeune homme tenait un moulin à café entre ses mains –
le vieux moulin à café en bois, cubique, avec ses deux quarts-de-coquille de
cuivre, son mécanisme un peu rudimentaire et la poignée de porcelaine au
sommet, son axe qui grinçait toujours un peu en broyant les grains de café, son
tiroir en bas. C’était une pièce de musée – ou de bric-à-brac pour un
vide-grenier – mais Robert s’en était toujours servi, et il s’en servait
encore.
– "Qu’est-ce que tu fais avec ça ?"
Quentin ne répondait toujours pas. Il
semblait perdu dans sa rêverie. Le fermier se demanda si le garçon n’était pas
descendu depuis un moment. Il ne devait pas avoir beaucoup dormi.
– "C’est drôle, quand on y pense..."
– "Quand on pense à quoi ?"
– "C’est
drôle comme on s’attache à des trucs... Ce moulin à café, je l’ai toujours
trouvé ridicule. Avant que je te voie l’utiliser, je croyais même pas que ça
pouvait servir à quelque chose. Je trouvais ça juste... moche. C’est vrai, ça
ressemble tellement à rien. C’est tellement une antiquité qu’on croirait que
c’est une technologie extra-terrestre. Mais je me suis tellement habitué à le
voir... je crois que ça me manquerait presque, maintenant."
– "Ben... ça fait le café."
Robert le saisit par les épaules.
– "Mais
qu’est-ce que t’as, ce matin ? Et puis, pourquoi t’es descendu à la
cuisine sans me réveiller ? Et puis..."
Un nouveau souffle d’air lui
caressait la barbe. C’est alors qu’il vit qu’un des carreaux était cassé, dans
la fenêtre donnant sur la route. Les contre-volets aussi semblaient avoir été
forcés. Le fermier pouvait être sûr qu’ils étaient fermés avant l’heure du
souper.
– "Aha...
C’est donc ça. Tu as entendu un bruit, cette nuit ? Tu as vu ceux qui
m’ont cassé ce carreau ?"
– "Euh...
non. Je sais plus. Attends... J’ai dû les entendre... C’est pour ça que je suis
descendu."
– "En voilà une histoire. Et ça, c’est
quoi ?"
Robert venait de voir le papier enroulé
autour du caillou, sur la table. Il s’en saisit d’un geste autrement plus vif
que celui de Quentin, à peine esquissé, pour l’en empêcher.
Le jeune homme entendit un
grognement bas, presque menaçant.
– "Qu’est-ce que ça veut dire ?"
– "Ça veut dire qu’il faut que je parte. Le
plus vite possible."
Cette réponse de Quentin tomba dans le plus
grand silence. Robert était tellement surpris qu’il ne voulait même plus
grogner comme un ours – sa réponse habituelle à tout ce que Quentin pouvait
dire, proposer ou faire et qu’il n’approuvait pas entièrement. Du reste, ce que
le fermier approuvait tenait sur une liste en trois points : travailler du
matin au soir, dormir du soir au matin, manger en abondance matin, midi et
soir...
Malgré les menaces vaguement proférées dans
le message qu’il froissait entre ses poings, malgré toutes les raisons les plus
sensées qu’on pourrait lui présenter, l’idée de laisser Quentin repartir dans
l’inconnu lui était insupportable.
Cette possibilité que le jeune homme s’en
aille sur la route et le laisse seul, Robert n’avait même pas osé l’envisager.
Depuis quelques temps, il tournait autour, d’assez loin, comme on hésite à
s’approcher d’une bête enragée, qu’il faut abattre et dont on ne sait par quel
bout la prendre... En avait-il assez fait le tour, et considéré tous les
aspects de la question dans toute son horreur ! – c’était plutôt un
gouffre qu’une bête, un puits sans fond qui le dévisageait. S’il se penchait
imprudemment sur cet abîme, cela signifierait pour lui la solitude et le regret
de ce parfait compagnon dont il ne pouvait déjà plus se passer.
Le fermier jeta le papier froissé. Il était
troublé, mais il tenait à n’en rien laisser paraître.
– "Explique-moi d’abord ce que c’est, ce
message."
Le jeune homme soupira. Il ne semblait pas
disposé à s’expliquer, mais il ne semblait pas disposé à partir tout de suite non
plus, malgré ce qu’il venait de dire. Le fermier se retint de soupirer. Cette
hésitation n’avait rien d’étonnant : il connaissait assez bien Quentin
pour cela – il s’agissait d’en profiter, plutôt.
– "Et puis
d’abord, tu nous mets en retard. Tu aurais dû prendre ton petit-déjeuner depuis
une heure, au moins ! Tu vas te rattraper tout de suite. Et j’attends
toujours tes explications."
En quelques minutes, la table de la cuisine
fut couverte d’assiettes, avec des crêpes généreusement beurrées et sucrées,
couvertes de confiture et de crème fraîche ou noyées dans le miel – déjà,
Robert battait les œufs et faisait sauter assez de pommes de terre et de
champignons pour servir une omelette assez imposante pour occuper encore
Quentin pendant un bon moment. Le plateau de fromages s’imposait devant le
jeune homme, tant par le choix que par le volume des parts qu’il tartinerait
sur son pain. Le fermier n’hésita pas un instant à sortir directement le gâteau
basque aux cerises qu’il avait réservé pour le repas du soir – et il se
préparait à descendre au cellier pour lui servir encore un grand saladier de
fruits au sirop avec de la crème fraîche arrosée d’eau de vie.
Il serait toujours temps pour mettre quelques
saucisses à griller ensuite, et faire rissoler quelques oignons pour
accompagner une purée onctueuse, grassement allongée avec le reste de crème
fraîche.
– "Allez, mange ! Et dis-moi
tout !"
Quentin ne se faisait jamais
prier lorsqu’il s’agissait de manger : il avait mal dormi, et il avait
faim. Au bout de quelques minutes, les hautes tours de crêpes ruisselantes de
beurre n’étaient plus qu’un souvenir, la masse des fromages fondait comme neige
au soleil – la première omelette était plus qu’à moitié entamée, la deuxième avait
si peu d’illusions sur le sort qui l’attendait que le crépitement de l’huile
dans la poêle semblait avertir les œufs, les pommes de terre et le fromage qui
l’entouraient.
En un mot, le jeune homme dévorait
avec une telle hâte et un tel appétit qu’il semblait n’avoir rien eu à se
mettre sous la dent pendant des mois et des mois – comme s’il avait plutôt
hiberné que dormi.
Robert n’était pas tout à fait
dupe. Quentin mangeait vite et bien, mais il se pressait plutôt pour rester le
plus longtemps possible la bouche pleine et ne pas avoir à raconter une
histoire qui devait lui peser...
C’était oublier combien le fermier
pouvait se montrer patient. En posant la troisième omelette sur la table, il
devait se retenir de sourire comme le jeune homme qu’il servait avec insistance
montrait les premiers signes de lassitude et de satiété. Toujours la bouche
pleine, et le rouge aux joues à force d’avaler, d’engloutir et d’avaler encore,
Quentin était obligé de se tenir plus droit : son estomac bien rebondi
grognait de contentement et frottait doucement le bord de la table.
Robert ne
perdait pas de vue non plus que la chaise sur laquelle il était assis
gémissait au moins autant que son ventre – et que les flancs du garçon, dont la
courbe s’arrondissait avec attendrissement, débordaient de chaque côté sur ses
cuisses, bien en chairs.
Il lui donna une tape sur
l’épaule, pour le réveiller de sa torpeur.
– "Allez, mange ! Mange ! Mais
dis-moi un peu !"
– "Hmmmph... Je t’ai dit que... lorsque je
suis venu ici... enfin, avant de venir... j’avais fait des conneries. Pas mal
de conneries... En fait..."
– "Ouais, tu as fait de la tôle. On va pas
revenir là-dessus. C’est passé."
Robert n’attendait plus un instant
pour resservir Quentin, qui ne dévorait plus à toute allure. Il s’attendait
bien à l’avoir à l’usure. Le pauvre garçon était plus que rassasié, un peu
éméché après avoir bu toute une bouteille d’eau de vie avec ses fruits au sirop
– à bout de souffle et en nage dans l’atmosphère de friture, de rôtisserie et
de confiserie qui imprégnait la cuisine... Il n’opposerait plus aucune
résistance. L’heure de l’interrogatoire pouvait sonner.
– "Allez Quentin... Qu’est-ce que tu as bien
pu faire de si grave ?"
Le garçon laissa d’abord échapper,
en manière de préambule, un long rot vibrant et plus grave encore qu’un brame.
– "BUUUUUURRRRRRRP..."
■ ■ ■
Six ans plus tôt – Quentin était un
adolescent comme tant d’autres, déjà grandi et aminci comme un brin d’herbe.
Ses premières aventures, ses premiers exploits sexuels, loin de le rendre
adulte, en faisaient plutôt un éternel enfant, innocent au point de se rendre
coupable sans s’apercevoir de la faute qu’il avait pu commettre.
Sans
le sou, un peu vagabond, maigre et affamé comme un jeune loup, il pouvait se
croire un prédateur tapi dans l’ombre – lorsqu’il n’était qu’une proie facile
pour de faux amis, plus prédateurs que lui. Surtout, il était un instrument on
ne peut plus pratique pour servir les intérêts de ces faux amis – et plus
encore de ses fausses amies...
Par
un mélange confus de rencontres faites par hasard, d’amitiés de passage, de
hasards préparés aussi parfois, Quentin avait fini par faire partie d’une bande
d’amis qui était aussi, bien malgré lui, une bande de malfaiteurs – sans aucune
envergure, du reste. Il n’avait participé à aucun des vols qu’organisait sa
copine d’alors, Sylvie. Tout au plus était-il surpris de voir que ses copains, Matthieu (dit "Matt"), Victorien (dit "Victo"), Sergio et Mahmoud (dit "Mammouth", le grand costaud, le violoncelle du quintette) payaient parfois en liquide avec de gros billets, ou portaient des montres de luxe – toutes sortes d’indices enfin qui auraient dû lui mettre la puce à l’oreille, mais Sylvie se jouait si bien de lui qu’il en était venu à les suivre.
Sous
prétexte de les attendre un moment au coin d’une rue, comme si les trois autres
garçons étaient seulement partis pisser, il faisait le guet. Il n’y montrait
aucun talent, du reste, puisque leurs véritables intentions lui
échappaient. Enfin, après une sortie un peu trop risquée, le groupe avait
fini par lui révéler toute l’ampleur de leurs activités – en exagérant le plus
possible l’importance de son rôle lors de chaque vol, et sa complicité dans
toutes leurs opérations.
Peut-être Quentin, dans sa candeur, avait-il suggéré que leur groupe des
cinq ne montrait aucune ambition dans leurs vols et leur dégradation de biens
publics – en somme, ils ne faisaient que débuter dans la carrière.
Peut-être ses "amis" avaient-ils déjà
prévu de donner un caractère autrement profitable et criminel à leurs actes – ou peut-être
rougirent-ils, secrètement, de se trouver si petits joueurs, si peu menaçants
qu’ils n’avaient jamais été poursuivis ni même inquiétés par la police. En se
faisant ainsi énoncer leurs quatre vérités par celui qu’ils considéraient comme
la cinquième roue du carrosse, peut-être demandèrent-ils à Quentin ce qu’ils
pourraient faire comme "grande action d'éclat" – ce qui permettrait de le "mouiller" à fond, en cas
d’orage – ou lui suggérèrent-ils, plus habilement, un plan préparé à l’avance
dont ils le créditeraient ensuite – dans le même but, assurément...
– "Et c’était quoi, cette action
d’éclat ?"
Quentin reprit son souffle, entre deux bouchées de flan aux pommes que
Robert lui faisait avaler – sans douceur, en tenant une grosse part devant sa
bouche en permanence. Il s’en saisissait à pleines mains sur la table.
Le
fermier avait débouché une autre bouteille d’eau de vie de poire, dont chaque
petit verre était versé directement dans le gosier du jeune homme interrogé
ainsi. Il lui témoignait encore moins de ménagements qu’un flic, mais insistait
toujours – avec une efficacité redoutable : la méthode était bonne.
– "Allez, avale ! Mange... et dis-moi."
Le
jeune homme ne fit qu’une bouchée de cette part de flan, plus grande que la
paume de sa main.
– "On s’est lancé dans un projet
complètement fou…"
En
l’écoutant, Robert devait admettre que l’entreprise était risquée, sans être
aussi "folle" que Quentin le
croyait : depuis plusieurs semaines, une bijouterie du centre-ville avait
fait une publicité de prestige autour d’une parure de perles et de diamants
commandée par une altesse sérénissime quelconque, offerte par un émir, un
sultan ou un rajah quelconque dans des circonstances quelconques – un
non-événement, pour des membres de la jet
set, mais qui représentait plus d’un million en diamants fins et surtout
six ou sept millions en perles fines, tout de même.
L’extrême qualité des perles, leur parfaite blancheur – opaline et
laiteuse de la nacre la plus pure – leur grosseur calibrée au
quart-de-millimètre et soigneusement organisée pour composer un collier en
sautoir de plus de quatre mètres de long sur un double fil de platine,
l’orfèvrerie de grand style enfin justifiait le prix fabuleux de ce bijou que
l’on pouvait aussi considérer comme simplement inestimable.
En
comparaison, le petit million que représentaient les diamants de cette parure
semblait bien modeste – une touche timide de "bon goût", peut-être, qui s’accordait mal avec l’éclat
tapageur de l’ensemble et la vulgarité des commanditaires.
La communication
bruyamment orchestrée autour de cette parure princière ne pouvait manquer
d’attirer l’attention de la petite bande... Sans se poser un instant la
question de ce qu’ils pourraient faire d’un tel trophée, il fallait s’en
saisir. Ils en avaient décidé ainsi.
– "C’est pas tellement fou, comme plan...
C’est plutôt con."
– "Ben...
uuuurrrrp... Ouais, je sais. Qu’est-ce que tu veux, on a été cons du début à la
fin..."
– "Ouais... Quelque chose me dit que tu les as surpassé en connerie, tes copains !"
Quentin baissa
la tête.
– "Je sais... J’aurais pas dû les suivre..."
– "Allez, allez. Dis-moi tout."
– "C’est moi qui ai fait le plus gros du boulot... parce que, pour y entrer et passer les barrières de sécurités, il fallait sérieusement se faufiler, dans des passages étroits... et j’étais le plus maigre de la bande."
– "Eh ben ! J’aimerais t’y voir, aujourd’hui..."
Robert considéra les deux dernières parts de
flan, sur la table.
– "T’as faim ?"
– "Toujours ! Tu sais bien..."
Ce n’était pas une question, dans la bouche
du fermier.
– "Allez bouffe, mon cochon... Avale-moi ça,
et dis-moi le reste."
Comme
il fallait s’y attendre, la bijouterie était protégée de toutes sortes de
systèmes, allant de l’alarme sonore et visuelle, reliée directement aux
premières casernes des environs, gardée vingt-quatre heures sur vingt-quatre
pendant toute la durée de l’exposition temporaire des bijoux dans une cage de
verre de plusieurs épaisseurs, avec une feuille transparente de polymère
extra-résistant et offrant une résilience à toute épreuve – un expert en la matière
serait tenté de conclure "etc.,
etc."
en haussant les épaules...
Curieusement, Sylvie se révéla des plus expertes dans cette occasion. A
un problème aussi difficile – raffiné dans la technique jusqu’au délire de film
hollywoodien avec acrobaties, effets spéciaux et vaisseaux spatiaux en fausses
perspectives – compliqué dans son organisation, doublée et redoublée jusqu’à
l’exaspération – il fallait opposer une solution simple, si simple et si
rudimentaire que toutes les barrières tomberaient de surprise.
Et c’était
bien ce qui s’était passé.
En
quelques minutes, le courant, le chauffage et la ventilation avaient été coupés
– les gardes et leurs chiens immobilisés – la cage ouverte, le verre brisé, les
bijoux dérobés...
Mais
il fallait bien se ménager une issue de secours.
Sylvie avait tranché : comme un joueur d’échecs, elle s’était
préparer à sacrifier un pion – et ce pion, bien entendu, c’était Quentin...
Après avoir exposé son plan à ses trois complices, elle avait passé la nuit
avec lui, à le satisfaire si bien qu’il l’écoutait sans réfléchir – qu’il
l’approuvait sans réfléchir – et qu’il exécuterait ses plans sans réfléchir.
Et
c’était bien ce qui... aurait dû se passer.
Comme
il arrive parfois, dans l’euphorie d’une victoire à portée de main, dans le
dernier quart d’heure d’un match de football où une équipe n’a cessé de
dominer, l’adversaire s’éveille au moment précis où l’attention se relâche – et
Quentin avait pris la fuite avec le collier de perles.
– "Comment... Tu les as planté là ?"
– "Ben...
Hmmmph... Ouais. Je sais plus pourquoi, ils étaient à la traîne. Ils ont essayé
de me passer devant, d’un coup, en me disant que les flics viendraient me
cueillir. Je les ai mis K.O. tellement j’étais nerveux. Sylvie m’attendait
derrière, mais je venais de comprendre que c’était un piège..."
Pour
comble de malchance, deux policiers faisaient aussi une ronde dans
l’arrière-cour de la bijouterie. Le camion que conduisait Sylvie leur avait
paru suspect : elle était déjà menottée. Ses trois complices suivraient.
De
son côté, Quentin était sorti, le plus naturellement du monde, par la porte
d’entrée... Il avait dissimulé le collier de perle dans un torchon de cuisine –
comme un saucisson entier, replié sur lui-même.
– "Ils ont été arrêtés, alors."
– "Oui,
mais ils n’avaient rien sur eux… Tentative de vol à main armée, c’est peu de
chose, dans ce cas. On leur a fait un procès rapide et ils sont restés à
l’ombre quelques mois. Quand ils n’étaient encore qu’en garde à vue, j’avais eu
le temps de cacher le collier."
– "D’accord... Et ensuite ?"
– "Quand
ils sont sortis de tôle, je me suis arrangé pour me faire arrêter. Mais pour un
truc complètement différent... Rien d’aussi grave."
– "Tu voulais quoi, te mettre à
couvert ?"
– "Je
voulais savoir s’ils m’avaient dénoncé aux flics, d’abord. Lorsqu’ils m’ont
arrêté, lorsqu’ils m’ont interrogé, je les ai laissé faire le tour de mon
casier judiciaire. Ils ne m’avaient pas balancé."
– "Bon, c’est pas si mal..."
– "Les flics, c’était rien."
– "Je me doute. Tu voulais savoir s’ils
avaient causé à des codétenus."
– "Ouais... Hmmmph hmmmmph..."
Quentin
mangeait toujours de bon appétit. Robert était aux anges.
– "Ils
s’étaient vantés de leurs exploits... Je m’y attendais... Ils en avaient même
inventé plus de la moitié. Mais on peut pas dire qu’ils y avaient été trop
fort. En tous cas, pour moi, je savais à quoi m’en tenir."
– "C’est-à-dire ?"
– "C’est
simple. Ils voulaient récupérer le collier, me faire la peau et voir ensuite ce
qu’ils feraient du butin."
– "Alors c’est eux qui ont écrit ce message."
– "C’est Sylvie. J’ai reconnu son
écriture..."
– "Elle a un drôle de sens de l’humour, ta
copine..."
Robert appuyait sur ces mots, tout en
nourrissant Quentin de flan et de compote – presque cruellement : ça lui
déplaisait vraiment d’imaginer son jeune compagnon dans un autre lit que le
sien, avec quelqu’un d’autre que lui. Ce soupçon le surprit en plein élan, la
cuillère à mi-chemin entre le pot de compote et la bouche de Quentin, qui se
pencha en avant pour tout avaler d’un coup. Le cœur du fermier bondit presque
autant dans sa poitrine d’ours, si intimidant.
– "Elle est comme ça. Elle a raté sa licence
de lettres modernes..."
– "Je vois. Et le collier, dans tout
ça ?"
– "Je l’ai
récupéré quand je suis sorti de tôle. Mais comme je m’attendais à être suivi...
Tu vois que j’avais pas tort..."
– "En effet."
Après avoir avalé la dernière cuiller de
compote, Quentin émit un soupir de contentement si doux, si rassasié que Robert
en était presque ému.
– "Et tu l’as laissé dans sa cachette, ton
collier ?"
– "Non... Je lui en ai trouvé une autre."
– "Tu l’as emporté avec toi ?
Ici ?"
– "Ouais...
C’est une planque idéale, en vrai. Tu gardes tellement de vieux trucs, c’est un
tel bordel dans toutes les pièces qu’on pourrait y cacher un trésor de pirates
sans jamais en retrouver une pièce d’or !"
Robert rougit un peu en pensant au désordre qui régnait dans toutes les
pièces du corps de ferme. Quentin ne lui avait pas dit où il avait caché le
collier – peut-être ne lui faisait-il pas entièrement confiance. Ou peut-être
ne voulait-il pas l’impliquer dans ses mésaventures. Il valait mieux ignorer où
se trouvaient ces perles – dont il se moquait totalement, d’ailleurs.
– "T’as raison. C’est une planque idéale, ici."
Quentin était toujours assis, les deux mains
posées sur son ventre bien rempli après ce petit-déjeuner des plus copieux. Il
était un peu somnolent, après avoir dépensé tant d’efforts pour manger comme
Robert aimait à le voir manger... Le fermier avait rangé les plats. Il
finissait la vaisselle dans l’évier, et le jeune homme le vit allumer le four
et poser les quatre poêles sur les plaques de fonte.
– "Qu’est-ce que tu fais ?"
– "T’as vu
l’heure ? Il est déjà onze heures passées, avec tes conneries... C’est
bientôt l’heure de ton repas de midi !"
– "Sérieux ?"
Le
ton de voix du jeune homme était un mélange inimitable, irrésistible, de
surprise et de ravissement, comme si le fermier venait de lui annoncer une
nouvelle inespérée.
Pour
ce beau mouvement, si naturel, si spontané, Robert était résolu à gâter son
compagnon au-delà même du déraisonnable.
– "Ben quoi... Il sera bientôt midi !
Faut bien que tu manges, à ton âge."
– "Euh... J’ai déjà passé la matinée à
m’empiffrer..." répondit Quentin, un peu rouge encore d’émotion.
– "Dis-moi, petit cochon... Tu as
FAIM ?"
Quentin répondit d’abord par un sourire, les yeux pétillant de joie.
– "Mais tellement ! J’ai faim,
fermier... J’ai FAIM !"
■ ■ ■
Tout occupé à manger, voracement,
un poulet entier, un jambon entier, un chapelet de saucisses qui ridiculisait
tout souvenir de cet interminable collier de perles, des montagnes de pâtes et
des saladiers débordants de frites, Quentin laissait Robert le rassurer sur sa
situation.
Pour commencer, il était hors de
question qu’il s’éloigne de la ferme. S’il était poursuivi, son premier
mouvement avait été le bon : il avait trouvé une bonne planque, un peu à
l’écart de la route, fermée sur elle-même, et où le désordre d’une activité qui
reposait sur les épaules d’un seul fermier avec des habitudes d’ours dans son
terrier permettait de se cacher sans jamais éveiller de soupçons.
Ensuite, puisqu’il lui fallait
rester caché, Robert lui confierait des travaux d’intérieur : nettoyer le
salon et la salle à manger, au premier étage, les chambres du deuxième étage,
le grenier aussi, et certains bâtiments bas autour du logis – sans être vu
d’aucun point de vue extérieur à la ferme.
Et comme il avait l’intention de le
faire travailler aussi dur que lorsqu’il s’occupait des cochons, Robert ne
manquerait pas de récompenser son jeune ami en le régalant de bons petits
plats, comme il y avait pris goût.
– "Mais ils savent que je suis ici."
– "Qu’est-ce
qu’ils en savent, en vrai ? Que tu es passé par ici, voilà tout."
Quentin l’écoutait raconter sa
version des quelques mois qu’ils avaient passé ensemble : oui, le jeune
homme était passé, mais il n’avait fait que passer. Il était venu, il était
reparti. Ça n’avait pas duré des mois. Il était loin maintenant.
– "Loin...
Oui, ça serait bien qu’ils s’en aillent loin, voir si j’y suis. Tu crois qu’ils
lâcheront l’affaire si facilement ?"
– "Mais oui..."
Robert n’en croyait rien. Des
petits malfrats comme ses anciens amis, tout juste capables de monter en hâte
un cambriolage au-dessus de leurs moyens, étaient bien incapables de renoncer à
en récupérer le butin.
Il s’attendait à entendre parler
d’eux, à les voir surgir d’une manière ou d’une autre : cela ne lui
faisait pas peur. Au contraire ! il les attendait de pied ferme, ils
trouveraient à qui parler – mais il ne voulait pas inquiéter Quentin. En bon
fermier, il savait qu’un cochon se porte mieux dans une ambiance calme,
chaleureuse et affectueuse – dans un confort douillet, d’autant plus favorable
à son engraissement...
Décidément, Quentin avait mieux à
faire qu’à s’inquiéter ainsi, et pour si peu. Il devait manger !
– "Allez, mon cochon, mange... Mange plus
vite, et n’y pense plus."
■ ■ ■
C’était une nouvelle vie pour
Quentin.
Et cette vie offrait tout ce
qu’avait promis Robert : le jeune homme était tenu de ne jamais sortir du
logis principal. Il ne descendait à la cuisine que pour y déguster de savoureux
– et monstrueusement copieux – repas, que le fermier préparait pour lui avec un
enthousiasme qui faisait plaisir à voir... tout en faisant baigner dans l’air
de toute la maison des parfums de viandes rôties, de charcuteries, de sauces
diverses allant de l’aigre-doux au caramélisé, de confitures cuisant lentement
dans la grande bassine de cuivre et de compotes fondantes, de pâtés bien chauds
et de pâtisseries dont la procession de plateaux sur les tables et les étagères
s’allongeait comme une liste sans fin... Autant le dire, Quentin avait toujours
l’eau à la bouche, et il s’en cachait d’autant moins que son fermier attentif
aimait le trouver disposer à engloutir d’énormes quantités de nourritures en
toutes circonstances !
Ses occupations de chaque jour
pouvaient être appelées des travaux, et il y mettait toute son application,
mais ce n’était rien de comparable aux durs labeurs que Robert lui avait
d’abord confiés – comme le bois à fendre en bûches, à la hache – ce que le
grand gaillard aux larges épaules faisait maintenant, chaque matin, sans le
moindre effort apparent...
Certes, Quentin soulevait des
masses considérables de débris, de gros meubles très lourds qu’il époussetait,
nettoyait, réparait, disposait dans la pièce pour attaquer retirer le papier
peint des murs, complètement fané mais d’une absence de goût si atroce qu’il
n’y avait aucun regret à s’en débarrasser. Quentin avait aussi roulé tous les
tapis, réparé les parquets dont plusieurs lattes étaient fendues ou broyées.
Dans bien des cas, il fallait tout simplement renforcer les planchers des trois
étages : Robert avait laissé entendre qu’ils ne seraient bientôt plus en
état de supporter le poids de deux hommes aussi bien bâtis – et aussi
lourds !
Plaisanterie à part, le fermier
n’exagérait pas : de jour en jour, semaine après semaine, Quentin était
presque devenu un autre homme – et Robert n’était pas loin d’exprimer, tout
bas, qu’il était devenu un "vrai mâle", ni plus ni moins.
Restait à considérer précisément ce
que Robert appelait "un vrai mâle, ni plus ni moins"...
Le seul point quelque peu négatif
que ce changement dans ses habitudes de travail apportait à Quentin, c’était la
perte de son beau bronzage de manœuvrier – maintenant qu’il ne se montrait même
plus à la fenêtre, les journées de travail passées dans la pénombre d’un salon
vide en cours de décoration lui avaient rendu son teint pâle et rose tendre, que
Robert associait – sans même y songer, tant il en subissait le charme – à la
peau onctueuse et appétissante d’un beau cochon de lait.
Dans l’ensemble, tout de même, le
fermier ne pouvait que se féliciter des choix qu’il avait proposés, sinon
presque imposés, à son jeune protégé.
Pour commencer, Quentin restait
presque nu à toute heure du jour – en ne portant, au mieux, qu’un slip et un
large T-shirt pendant qu’il travaillait à préparer du plâtre ou à balayer des
monticules de débris... Ainsi, à l’aise dans toutes les positions où il était
amené à se trouver, à quatre pattes ou au sommet d’une échelle, il éprouvait si
peu le besoin de se vêtir que son maître le laissait mijoter dans l’attente de
ses repas comme dans un vrai bouillon, entre sueur et friture en sauces, et le
traitait comme un cochon dès qu’il l’appelait depuis la cuisine.
– "À table, mon cochon ! À table !
Tu dois avoir FAIM..."
En vérité, Quentin travaillait d’autant plus
dur qu’il avait le sentiment de n’effectuer que des travaux relativement aisés.
Il montrait tant de bonne volonté qu’il n’avait pas seulement songé aux années
– aux décennies, même – de négligence et d’abandon de toutes ces pièces.
Robert, comme presque tous les fermiers, ne voyait que les travaux les plus
pressés, qui auraient encore occupé ses journées si quarante heures avaient
séparé l’aube du crépuscule. La vétusté des meubles, la fragilité des murs et
des sols, le mauvais état de la plomberie et de la toiture en
témoignaient : le corps de logis tombait en ruines.
Modestement, sans s’attribuer une importance
particulière, Quentin était en train de sauver la ferme, par sa seule présence.
En quelques semaines, le jeune homme avait
fait merveilles : le salon était redevenu habitable. La salle à manger,
encombrée de tout un fatras de meubles, suivrait prochainement.
Les changements n’étaient pas moins notables
dans le corps de l’ouvrier que dans le corps de l’ouvrage – et la préférence de
Robert allait à ces beaux progrès, secrètement, tout en faisant l’éloge de
cette modernisation qu’il n’approuvait peut-être que pour lui faire plaisir.
Quentin était devenu vraiment fort, solide et
trapu avec un corps à la fois souple et athlétique, d’une carrure inattendue
chez le gringalet que Robert avait accueilli chez lui... Comme ce temps lui
semblait loin ! À force de bouger sans cesse dans la pièce, d’une pièce à
l’autre et d’un étage à l’autre, les bras toujours lourdement chargés de
meubles ou de matériel, le jeune apprenti s’était aguerri, assoupli et renforcé
en même temps.
Surtout, Quentin s’était épaissi.
Plus vorace que jamais, encouragé à
s’empiffrer sans aucune retenue par Robert qui le choyait en même temps qui
l’accablait sous des quantités de nourritures toujours plus intimidantes,
Quentin mangeait comme un vrai porc – et il était devenu comme un vrai
porc !
Toute sa silhouette s’était élargie et
alourdie considérablement. Sur ses mollets et ses cuisses d’athlète,
remarquablement musclées et rebondies, Quentin portait un ventre rond et un
poitrail tel qu’il semblait avoir été bâti uniquement d’os et de viande rouge,
depuis sa naissance – avec une croissance magnifique de taureau que trahissait
seulement la couche de lard qui le recouvrait – bien épaisse sur toutes les
parties de son corps qui trahissaient aussi le magnifique mâle mûr et accompli
qu’il allait devenir.
Quentin, avec toute sa force et sa souplesse,
était gras. Plus encore : il engraissait – mieux encore : il
réclamait ! Les deux mains sur le ventre, à la fin d’un copieux repas, il
rotait bruyamment et ouvrait la bouche après avoir dit à Robert, sur un ton de
commandement :
– "Je suis fatigué d’avaler... Il faut que tu me gaves !"
Un beau cochon, jeune et bien
docile, à engraisser avant d’aller au lit – voilà ce que Robert appelait "un
vrai mâle, ni plus ni moins". Il n’avait jamais vraiment exprimé ce que
cette expression pouvait traduire, selon ses goûts et ses préférences. C’était
cela, ce n’était pas autre chose. Ni plus ni moins, mais il n’en demandait pas
davantage.
■ ■ ■
Ces changements dans la vie de la
ferme, si appréciables par leurs effets sur le corps du jeune apprenti, étaient
à peine moins éclatants pour tout ce qui concernait le fermier lui-même.
Sans y prêter attention, Robert
avait comme rajeuni de dix ou quinze ans, durant ces derniers mois. Plus actif
que jamais, plus motivé dans ses travaux et plus décidé dans ses choix, il se
tenait plus droit, plus ferme et plus imposant – d’autant plus qu’il était
toujours attentif envers son jeune ami, qu’il traitait tantôt comme un ouvrier
à commander, tantôt comme un porc à engraisser, tantôt comme un partenaire à
satisfaire.
Dans toutes ces situations, il se
montrait encourageant et affectueux – et moins intimidant, à tout prendre, que
rassurant. Sans le savoir, il avait cette qualité qui avait achevé de lui
dévouer Quentin, corps et âme.
Le jeune homme ne pouvait plus se
passer de lui, ni de ses bons petits plats, ni de ses caresses qu’il lui
accordait si généreusement après l’avoir gavé jusqu’à la limite de
l’éclatement. La satisfaction qu’il avait éprouvée en faisant entrer Robert
dans un salon tout neuf, entièrement repeint et tapissé de frais, avec un
éclairage électrique tamisé et une disposition des objets plus jeune et moins
encombrée – l’étonnement du fermier devant le résultat et la fierté du travail
achevé l’avaient bouleversé. Il ne pourrait plus s’éloigner de la salle à
manger, où ses rêveries projetaient déjà une décoration toute nouvelle et plus
agréables.
L’entente était donc totale et
parfaite entre les deux hommes : entre le fermier et l’ouvrier, avec la
lourde tâche qui les attendait chaque matin – entre l’éleveur et son cochon le
plus disposé à remporter un ruban bleu, avec les lourds repas qui ponctuaient
leurs journées – entre un grand ours un peu farouche et son amant plus dodu
pour l’attendrir, avec la sexualité lourdement sensuelle et charnelle qui
concluait chaque soir et les tenait embrassés toute la nuit.
La jeunesse de corps, d’allure et
d’attitudes de Robert ne manquait pas de surprendre, tout de même, ceux qui
l’abordaient.
Ils n’étaient pas nombreux, fort
heureusement – Robert aurait souhaité n’avoir personne à recevoir chez lui. Sa
porte était résolument fermée. On y était habitué. Il fallait bien, pourtant,
recevoir le courrier, ou diverses visites toutes plus inutiles les unes que les
autres.
Robert ne recevait même pas dans la
cuisine. Il se tenait debout, dans la cour ou dans la basse-cour. Son salut
était rude, son accueil glacial, et on ne pouvait qu’être saisi par son air
bagarreur, comme prêt à bondir...
Enfin, comme La Fontaine énonçait
dans sa fable des Animaux malades de la
peste, "ils n’en mouraient pas tous, mais tous étaient frappés".
Et ils auraient pu fuir aussi bien le fermier comme la peste.
Robert s’était montré extrêmement
vigilant, depuis qu’il avait remplacé la vitre de sa cuisine. Un coup d’œil
rapide lui suffisait pour apprécier si un intrus approchait ou se tenait caché
dans un buisson. Il faudrait un talent de chasseur confirmé pour s’y risquer –
ou, au contraire, une inconscience de débutant trop sûr de soi... Dûment
prévenu par Quentin, Robert n’en attendait pas moins. Aussi se tenait-il sur
ses gardes, prêt à parer à tout, y compris aux attaques les plus saugrenues.
Le visiteur qui l’importunait le
plus – celui dont, bien entendu, il pouvait le moins se défaire – était le
facteur.
Tout bien considéré, celui-ci ne
restait jamais longtemps, pressé d’en finir avec sa tournée qui l’emportait
déjà si loin en-dehors de ce qu’il était convenu d’appeler des "sentiers
battus".
– "Eh alors, Robert ! Vous vous êtes
enfin décidé à faire des travaux."
– "Des travaux ? Où ça, des
travaux ?"
– "Mais...
chez vous, donc. Ça m’étonne, mais c’est bien ! Rien que ces rideaux à la
fenêtre, dans le salon, c’est fou comme ça vous rajeunit tout l’étage, de ce
côté."
– "Ah ? Oui... Oh, ce n’est rien."
– "Quand même... depuis le temps... Ça ne
s’est pas fait tout seul."
– "Non, sans doute. J’ai pris un peu de
temps pour m’en occuper."
– "Alors ça...
Franchement, chapeau. Avec vos cochons à nourrir, et tout le travail que ça
représente, sans compter le reste... J’en reviens pas."
– "Il n’y a vraiment pas de quoi."
– "Allez, je reste ferme en selle,
hein ? C’est pas une paire de rideaux qui me ferait tomber sur le cul. Mais
je me demandais, comme ça... Enfin, à mon idée... Vous avez jamais pensé à
embaucher un saisonnier, des fois ? Parce qu’enfin, comme ça... Tout
seul..."
– "Eh bien, quoi ? Tout seul."
– "Eh oui,
vous êtes encore drôlement solide, pour votre âge. Mais voilà... Vous finirez
bien par le faire, votre âge."
– "Et puis, après ?"
– "Eh alors,
oui ! après ? une ferme comme ça, sans même un apprenti à former pour
prendre la suite."
– "Vous savez, depuis que mon fils est
parti..."
– "Je sais bien, allez... Toujours pas de
nouvelles ?"
– "Et comment j’en aurais, des nouvelles, si
ce n’est pas vous qui me les apportez ? Si je devais en avoir, vous le
sauriez avant moi."
– "Eh, mon dieu, oui. C’est bien tout ce que
je vous souhaite..."
– "Vous-en faites par pour moi. Je m’en
sortirai bien."
– "Allez, je vous laisse. Bonne journée par
chez vous !"
Ces visites désenchantaient toujours – un peu – Robert qui songeait, en
effet, que le temps passait, jour après jour, sans revenir – et que son fils
non plus ne reviendrait pas.
Secouant sa morosité, il appela :
– "À table, mon cochon ! À table..."
Le
bruit de pas précipités dans l’escalier lui rendit le sourire – des pas un
peu gauches, maladroits, plutôt lourds mais bondissant aussi – les pas d’un
beau gros garçon qui n’avait qu’une hâte : retirer ses vêtements, se laver
le visage et les mains, s’asseoir tout nu à table et se goinfrer.
– "Miam ! comment ça sent bon, depuis
ce matin... J’ai FAIM !"
■ ■ ■
Robert
n’avait pas songé aux signes extérieurs de rajeunissement que la présence et
les travaux de Quentin avaient apportés à son domicile. Sans trop s’appesantir
sur les raisons de ce nouveau changement de plans, il remit Quentin pour moitié
dans les travaux à l’intérieur de sa cour carrée, à côté de la grande cour de
ferme – à l’abri de tout regard – pour lui faire fendre du bois, et porter de
gros sacs de plâtre, de ciment et de mortier, des pierres pour le soubassement
du logis et des caves, toutes sortes de travaux pour l’occuper suffisamment et
ralentir les travaux entrepris dans la décoration de la salle à manger, dont
les fenêtres larges et hautes donnaient sur la route.
Le
fermier appréhendait un peu la réaction de son apprenti – après avoir apprécié
avec éloges le nouveau salon de Quentin, lorsqu’il l’avait enfin découvert. La
réponse du jeune homme le surprit, tout d’abord, et le fit fondre
intérieurement comme au cœur d’un foyer. D’un seul élan, doux et spontané, il
avait serré le fermier dans ses bras.
– "J’y
pensais depuis un moment. Ça me manquait de fendre du bois, de prendre un peu
l’air... Et je préfère le faire pendant que tu t’occupes des cochons."
– "Tu es sûr ? La salle à manger..."
– "Elle
attendra. Ça me laissera tout le temps d’y penser, pendant que je te fais un
tas de bûches pour le feu."
– "D’accord..."
– "Et puis
je peux reprendre le travail avec les cochons, aussi... Pas les gros, je sais
pas encore comment faire... mais les plus petits, les porcelets plus jeunes...
Je les nourrirai au biberon, ça me fera une pause."
– "C’est du boulot aussi, tu sais."
– "Oui, mais j’aime bien... Et puis, tu peux
pas tout faire."
Robert n’avait pas eu le temps d’émettre un grognement que Quentin
ajoutait, en se blottissant contre ses pectoraux bien ronds :
– "Toi, tu
dois t’occuper des plus gros cochons. Et du plus gros, surtout. Et c’est moi."
D’un
geste, le fermier souleva le gros garçon et l’emporta, dans ses bras, jusque
dans la cuisine.
– "Hmmm..." gémit Quentin. "C’est
déjà l’heure de manger ?"
– "Ça dépend, mon cochon. Tu as faim ?"
– "J’ai FAIM ! Fais-moi manger comme un
de tes cochons..."
– "Ha ha ! comment ? Au
biberon, mon petit cochon ?"
– "Non, pas comme un petit... Comme un GROS
cochon !"
– "Tu n’es pas encore le plus gros cochon."
– "Pas encore ? Faut vraiment que tu
m’engraisses, alors..."
– "Ça
marche. Allez ! à table..." annonça Robert avec un beau sourire de
grand méchant loup, avant d’ajouter doucement : "Gros
porc !"
– "Oink oink !"
■ ■ ■
Les journées de travail semblaient plus
longues, de plus en plus longues, aussi bien à Quentin qu’à Robert. Était-ce
vraiment, seulement, la charge de travail qui leur pesait à ce point, ou la
succession des jours toujours les mêmes et toujours occupés à ce dur labeur des
hommes lorsqu’ils sont rendus à eux-mêmes ?
Robert n’aurait su expliquer pourquoi les
soins apportés aux cochons, et à leur engraissement, lui paraissaient moins
gratifiants et moins dignes d’intérêt qu’auparavant. Au contraire : les
bêtes qu’il vendrait bientôt étaient magnifiques, saines et surtout
magnifiquement grasses à lard. Il en tirerait un bon prix sans avoir à négocier
si âprement qu’il en avait pris l’habitude.
Avec des activités mieux réparties entre la
cuisine, la cour, les auges des cochons, les champs et les bois, Robert se
sentait plus libre et plus dispos – seulement préoccupé, néanmoins, par les
soins qu’il entendait apporter à son plus beau cochon, jour après jour et nuit
après nuit.
De son côté, Quentin trompait son attente à
sa manière, tant il lui tardait de se blottir à nouveau contre son fermier. Il
travaillait vraiment dur, sans relâche, et il montrait maintenant une
efficacité redoutable dans tout ce qu’il entreprenait : porter à manger
aux cochons sans être vu, porter des pierres ou des sacs pour "retaper" la maison, les caves et les celliers – autant de
garde-mangers pour lui, comme il l’avait appris pour son plus grand plaisir...
Le jeune homme avait conservé, de ses mois
passés dans des travaux d’intérieur, une impudeur de mâle un peu rustre – et il
sortait dans la cour simplement vêtu de sandales et de ce qu’il restait d’un
vieux pantalon court et raccourci encore, qui lui serrait les hanches sans être
tout-à-fait boutonné. Passant maintenant le plus clair de son temps ainsi, en
plein soleil, il n’avait pas tardé à retrouver son bronzage et sa transpiration
abondante – qui avaient le don de le rendre encore plus appétissant aux yeux de
Robert, comme un bonhomme de pain d’épice glacé au miel...
L’air de la cour, sans être "le grand air", lui faisait le plus grand bien : il respirait à
pleins poumons et tout son corps se développait à vue d’œil, à mesure qu’il
s’étirait, s’assouplissait, allait et venait en portant plusieurs dizaines de
kilos sur ses épaules, sous une forme ou une autre – ou en soutenant simplement
son propre poids, qui était loin d’être négligeable !
De fait, si Quentin avait bien profité d’un
premier changement dans son programme de travail, ce nouveau programme, mieux
équilibré, semblait lui convenir admirablement. Ce serait trop peu dire que le
jeune homme y trouvait son plein épanouissement. Il jouissait véritablement de
tous les instants de sa journée – impatient d’en témoigner à son fermier, pour
lui faire partager le plaisir qu’il éprouvait.
– "Tout ce
travail en plein air me donne FAIM. À table, et aux fourneaux ! Je
pourrais dévorer un cochon entier avec son poids en frites..."
– "Et une bonne douzaine de tartes... et des
beignets !"
Robert lui servait des repas magnifiques, qui
auraient constitué un festin pour une famille nombreuse. Les reliefs sur la
table étaient monumentaux. Il y avait même quelque chose d’un peu monstrueux à
voir le beau jeune homme s’asseoir à table, tout nu et luisant de sueur,
affrontant une telle quantité de nourriture. À la fin de chaque repas, Quentin
devait s’accorder une petite heure de sieste, pour digérer au moins ce qu’il
avait englouti en excès, avant de pouvoir retourner au travail.
Les progrès obtenus avec ce régime, plutôt
renforcé que mieux équilibré, ne devaient pas se faire attendre : en
quelques semaines, Quentin avait encore pris de l’épaisseur – Robert était
tenté de dire "de l’ampleur" – et du poids, tant
en masse musculaire bien dense qu’en épaisseur de lard bien douce et moelleuse.
– "Allez, mon gros, mange !
mange !"
– "Hmmmph..."
Quentin se
resservait lui-même, largement, toujours la bouche pleine.
– "Tu vas t’occuper des porcelets, cet
après-midi."
– "Hmmmph, oui."
– "On devrait en profiter pour te peser."
– "Hmmm ?... BUUURRRP... Tiens, c’est
vrai. Ça fait un moment."
Après sa petite sieste, bien nécessaire après
un déjeuner aussi copieux et généreusement arrosé de bière blonde, Quentin suivi
le fermier jusqu’à la grande salle où les cochons se reposaient – où la balance
les attendait.
– "Comme
ils ont grossi !... Ça faisait un moment que je n’étais pas venu les voir."
– "C’est
comme ça, les cochons. Plus ils engraissent, plus ils mangent. Ces dix ou
douze-là seront bientôt prêts pour être vendus."
– "Vendus ? Quoi, si vite ?"
– "Avec les charcutiers, ça ne traîne pas,
tu sais."
– "Mais ils ne sont pas si gros... Je veux
dire..."
– "T’en fais pas pour eux, Quentin."
Le fermier referma doucement ses bras d’ours
autour du ventre rond et dodu de son cochon préféré.
– "Pense à ton ventre, mon gros cochon..."
murmura-t-il doucement à son oreille. "Toi, tu es encore trop maigre, à
mon goût. Bien trop maigre."
– "D’accord."
Les cochons furent pesés, l’un après l’autre.
Le plus léger pesait plus de deux-dent kilos. Le plus gras et le plus lourd
atteignait presque trois-cent kilos...
– "Allez ! à ton tour, mon gros."
– "J’ai un
peu honte, maintenant, de passer après eux... Je dois en être à cent-dix ou
cent-vingt kilos."
– "Peut-être
un peu plus. Tu as bien fait honneur à tous tes repas... Allez, sur la
balance !"
– "D’accord..."
– "Je veux vérifier si tu n’as pas grandi
aussi, un peu."
– "D’accord..."
Quentin mesurait presque un mètre quatre-vingt-dix, maintenant, et il
pesait pas moins de cent quarante-quatre kilos. Il s’étonnait lui-même de se
trouver si lourd.
– "Presque quarante-cinq kilos... J’ai bien
grossi !"
– "Ouais !"
répondit Robert en écho, les yeux rêveurs. "Tu as bien grossi."
Robert était tellement fier de lui
qu’il se promettait de le récompenser à sa façon, le soir même, pour
l’encourager à s’affirmer encore plus, comme un "vrai mâle", comme il
le désirait plus que tout.
En
redescendant de la balance, Quentin poussa un léger soupir et dit au fermier –
ce qui acheva de le rendre fou de désir :
– "Cent
quarante-quatre kilos... Je suis un poids-plume. C’est rien du tout, c’est la
honte quand je vois tes beaux cochons bien gras..."
– "Tu y arriveras. Tu manges bien."
– "Ça
suffit pas. Il faut que tu me fasses manger... que tu me gaves... que tu
m’engraisses ! Comme un vrai porc !"
■ ■ ■
Pendant toute la semaine suivante, Quentin ne
voulut rien savoir. Il ne se présentait plus à des repas, mais à des
gavages : son fermier devait le nourrir – le plus possible et le plus vite
possible – pour le gaver à peu près comme il gavait ses cochons pour les
présenter au charcutier ou à un concours.
Robert y
mettait tant de bonne volonté que Quentin se sentait encouragé à réclamer
encore et toujours plus à manger...
– "Encore un peu, mon gros ?"
– "Hmmmph... Oui, fais-moi manger."
– "Alors encore
un boudin noir... Mange, mon gros. Mange ! Et encore un peu de purée..."
– "Hmmmph hmmmmph..."
– "Encore un peu ?"
– "Qu’est-ce qu’il y a de bon à manger,
ensuite ?"
– "Du
chapon et un grand plat de farce, avec des quenelles de pain et du chou braisé.
Je t’en ferai avaler à pleines poignées."
– "Hmmm, trop bien... Gave-moi ! j’ai
envie de finir les plats."
– "Tu n’es
pas au bout de tes peines, mon gros... Allez, avale ! C’est bon, de la
bonne farce bien épaisse, de la bonne chair pour t’engraisser..."
– "Hmmmph hmmmph... Hmmmph... Encore !"
– "Encore un peu ?"
– "Remplis-moi bien. Plus vite..."
– "Oh ! mais tu as faim, mon cochon."
– "J’ai faim, j’ai FAIM. Nourris-moi !"
Lorsque le charcutier se présenta pour
acheter la douzaine de cochons qu’il avait retenus, Quentin faisait la sieste à
l’étage. Rassasié au point de s’être endormi entre deux bouchées de gâteau à la
crème au beurre, il ne se passait pas une minute sans qu’il pousse un rot bien
rond et sonore. Au lit, dans la chambre de Robert, personne ne l’entendait –
même si un écho lui revenait depuis le grenier.
– "Belles bêtes, vraiment."
– "Content qu’elles vous plaisent."
– "Il
faudrait être bien exigeant pour y trouver à redire... Aussi bien, je ne
discute pas la somme. Vous pouvez recompter."
– "C’est fait."
Robert avait fait d’excellentes affaires.
D’ordinaire, cela suffisait pour le mettre de bonne humeur. Il était juste un
peu inquiet – n’avait-il pas un peu forcé, toute la semaine, en n’écoutant que
le vif désir de son petit ami et en y répondant si généreusement ? Quentin
avait besoin d’exercice, de repos et de calme.
Après avoir placé les cochons les plus gras
dans les enclos qui venaient d’être libérés, le fermier décida de confier les
soixante plus jeunes à son apprenti. Quentin l’avait vu travailler – il
connaissait tous les cochons de cet enclos lorsqu’ils n’étaient que des
porcelets, il obtiendrait d’aussi bons résultats.
Le jeune garçon ne demandait pas mieux, après
une semaine passée à s’empiffrer, à se reposer, à être gavé, à dormir, à boire
et à manger... Ce n’était qu’une pause dans ses journées de travail – mais
cette pause lui avait permis de passer enfin le cap des cent-cinquante kilos,
pour sa fierté personnelle.
– "Je te
confie ces cochons que tu connais bien, comme ils te connaissent aussi. Tu
sauras quoi faire, n’est-ce pas ?"
Les "petits cochons"
en question étaient au moins aussi lourds que lui, et Quentin ne se sentait pas
moins motivé à leur faire prendre du poids qu’à en prendre lui-même.
– "Allez, mes petits porcs. On va bien
bouffer, tous ensemble !"
Robert avait également décidé de s’appliquer aux travaux de maçonnerie
entrepris pas son jeune compagnon, mais de manière autrement visible – presque
ostensiblement : du côté de la grand-route, et dans les heures où il avait
le plus de chance de voir passer le facteur.
– "Eh ben ! vous vous y êtes mis pour
de bon."
– "Comme vous voyez."
– "Mais alors, vos cochons..."
– "Vous ne les entendez pas ? Ils
s’empiffrent."
– "En effet, en effet. Quelle organisation !"
– "Je
voudrais en avoir bientôt fini avec les réparations sur le toit. Quand ça sera
résolu, le reste suivra sans difficulté."
Dans
les enclos, Quentin mettait vraiment du cœur à l’ouvrage. C’était le moins que
l’on en pouvait dire, à n’en juger que par le nombre des repas, la qualité de
la nourriture – et surtout la quantité que Quentin imposait à ses petits
cochons.
Dès le premier jour où il avait repris en main leur alimentation, le
jeune homme avait retrouvé les grands sacs de granulés blancs qu’il avait
achetés – et pratiquement remisés dans un coin.
– "Tiens ! c’est curieux, je les avais
presque oubliés."
Plongeant le bras dans le premier sac, il en retira une poignée.
C’étaient de beaux granulés secs, un peu lisses, d’un blanc nacré, à servir
avec du lait pour accompagner les repas de ses porcelets.
Sans réfléchir, il avala cette poignée. Les perles, de la grosseur d’une
noisette, craquaient sous la dent sans présenter beaucoup de dureté.
– "Hmmm... Mais oui ! je me souviens. Je croyais que c’était
du chocolat blanc, quand j’y ai goûté d’abord !"
En allant d’une mangeoire à
l’autre, il en offrit un bol à chacun de ses petits goinfres, qui raffolaient visiblement
de ces nouveaux granulés qu’il leur apportait.
– "C’est bon, hein ? Je vous comprends. J’espère que ça va
vous faire bien grossir..."
Sans surprise, les porcs ne lui répondaient que par des
grognements de satisfaction, tout en se remplissant l’estomac. Quentin était
déjà occupé à nourrir les suivants, tout en prenant une poignée de perles au
passage – puis une autre, et encore une autre – de temps en temps, à chaque
fois qu’il venait se resservir dans le sac.
Lorsqu’il ne restait plus que quelques gros granulés au fond du sac, il
les recueillait dans le creux de sa main et n’en faisait qu’une bouchée...
– "...UUUUURRRRP... Ouais, ils sont
vraiment... délicieux."
Robert l’appelait déjà, depuis la cuisine.
– "À table, mon cochon ! Tu as
faim ?"
Quentin avait passé toute la matinée à grignoter, tout en nourrissant
ses cochons. Curieusement, il se trouvait à la fois rassasié... et mis en
appétit.
– "J’arrive, fermier ! J’ai...
BUUUURRRRP !... j’ai FAIM !"
■ ■ ■
L’appétit de Quentin faisait la joie du fermier, qui ne se faisait
vraiment plus prier pour le gaver – un appétit si insatiable que le jeune homme
se laissait remplir l’estomac docilement, mais qu’il était prêt à se goinfrer
si son cuisinier l’encourageait à manger encore, au-delà de l’excès...
Comme il travaillait toujours très dur, chaque jour, il pouvait bien se
permettre des repas aussi riches et aussi abondants – et comme il avait une
soixantaine de porcs à engraisser, Robert ne voyait pas de mal à ce qu’il leur
donne l’exemple.
De
ce point de vue, en effet, le travail accompli par Quentin était tout
simplement exemplaire. Lors de leur première pesée, ses cochons étaient déjà
sensiblement plus grands, plus gros et plus ronds, avec une prise de poids qui
atteignait parfois les vingt kilos dans le mois !
– "Eh bien ! tu as le coup de main. Je
suis impressionné..." disait Robert.
Quentin était fier de ses résultats.
Cependant, le fermier s’inquiétait de le trouver curieusement plus somnolent, à
table, plus nonchalant dans sa démarche – et, dans l’ensemble, un peu plus
paresseux et qu’à l’ordinaire.
Une explication s’imposait. Elle était simple : en peu de temps,
peut-être au contact des cochons qu’il rassasiait d’heure en heure, avec insistance,
le jeune homme n’avait cessé de s’alourdir et de s’empâter presque à vue d’œil.
En restant assis la plupart du temps, avec un beau cochon sur les genoux et un
gros biberon de lait dans une main, il s’était confortablement installé dans
son nouveau rôle d’apprenti nourricier – tout en profitant le mieux du monde
des gavages qu’il réclamait...
Un
peu avant la fin de l’automne, comme Quentin s’occupait de ses cochons depuis
deux mois, Robert l’observa plus attentivement. Il poussa un léger grognement d’ours.
– "Nous allons peser tes cochons."
– "Hmmmph... Oui ! ils doivent avoir
bien grossi."
– "Nous allons te peser aussi."
– "D’accord..."
répondit Quentin, entre deux larges bouchées de tarte aux myrtilles. "Hmmph
hmmmph..."
– "Tu manges de bon appétit, ce matin, mon
gros !"
– "Hmmmph... c’est vrai, plus que
jamais ! J’ai FAIM, c’est fou..."
– "Et tu as dû bien grossir aussi."
Debout sous la toise, Quentin atteignait
définitivement un mètre quatre-vingt-dix – mais, sur la balance, son poids fit
grimper la flèche jusqu’à cent quatre-vingt-deux kilos...
– "Cent quatre-vingt-deux kilos, mon
gros !"
– "Comment... mais c’est pas possible !"
– "Je crois
bien que si. En fait, je m’y attendais... Tu ne t’es pas regardé dans une glace
depuis un moment, gros porc."
– "Mais...
comment j’ai fait pour prendre... ça me fait quoi, trente kilos en deux mois,
c’est ça ?"
– "En gros... si j’ose dire..."
– "C’est beaucoup, non ?"
Quentin était bien le seul à pouvoir poser
avec autant d’innocence une question aussi saugrenue.
– "Suis-moi,
mon gros cochon... Il faut que je te montre quelque chose. Et il faut qu’on
s’explique ce mystère."
En suivant le fermier, Quentin se sentit soudain
très lourd – et très gras. Pour la première fois depuis le jour où il était
arrivé dans cette ferme, il se trouvait mal à l’aise – non parce qu’il s’y
sentait intrus, mais parce qu’il accusait un poids de corps exagéré, qui
laissait des traces de pas d’une profondeur suspecte dans la terre, en
traversant la petite cours carrée...
– "Qu’est-ce qui m’arrive ?"
– "Pour
commencer, regarde-toi. Regarde bien les progrès que tu as faits, ces derniers
temps."
Il n’y avait pas de doute : le grand
garçon qu’il voyait dans la grande glace, au tain quelque peu fané, piqué par
endroits, était un beau jeune homme nu, bien bâti et large d’épaules mais
démesurément obèse...
– "J’ai
commencé à m’inquiéter il y a deux ou trois semaines mais, depuis quelques
jours, j’attendais cette pesée avec impatience."
– "Qu’est-ce qui t’inquiétait tant que
ça ?"
Le fermier se saisit des poignées d’amour du
gros garçon, fermement. Il les pressa de proche en proche, en se rapprochant du
nombril de Quentin.
– "Tu sens
toute cette graisse que j’empoigne ? Il y en a de plus en plus. Regarde un
peu comme tu t’es arrondi, et plus encore... Ton ventre a pris du ventre !
Tu es devenu grassouillet comme un vrai lardon ! C’est quand tu as
commencé à t’empâter aussi salement que je me suis inquiété."
– "Euh...
oui, j’ai grossi. C’est vrai. Tu me nourris toujours bien, c’est pas si
étonnant... ou si inquiétant."
– "Tu ne
comprends pas, mon gros... Tout ça, ce gros beignet tout flasque autour de ton
nombril, c’est de la mauvaise graisse. Tu vois, ça t’étouffe les chairs de
partout. Je ne comprends pas comment ça se fait, mais tu t’es mis à gonfler
comme un ballon, et à faire du gras tellement vite... Là, tu es en train de
devenir obèse et adipeux comme un gros lard !"
Quentin saisit son ventre à son tour. Comme
il venait de lui en donner la leçon, il n’était que trop évident que Robert
avait raison : Quentin était devenu trop joufflu, trop replet. Sa poitrine
avait perdu de la solidité qu’il tenait de ses pectoraux bien en chair :
elle commençait à couler comme un fromage bien fait, à se reposer sur le haut
de son ventre. Quant à son ventre, il s’était naturellement élargi et arrondi
dans des proportions assez inquiétantes, mais il s’était aussi un peu affaissé
sous l’effet conjugué des gavages toujours abondants qui faisaient gonfler son
estomac et l’ajout de cette épaisse bouée de "mauvaise graisse" qui
débordait de tous côtés, y compris sur ses flancs pourtant bien en chairs...
En se voyant aussi gros et gras, Quentin ne
pouvait s’empêcher d’être un peu fier de lui, tout de même – et comme il était
nu, il pouvait apprécier combien Robert ne lui en voulait pas trop d’avoir
engraissé à ce point.
À tout prendre, les nuits qu’ils avaient
passées ensemble depuis que le fermier "s’inquiétait" pour lui
étaient si brûlantes qu’il pouvait mettre en doute ces considérations sur son
obésité – à croire que le fermier n’avait rien trouvé de mieux, pour lui faire
dépenser le plus de calories possible, que de faire frire tout ce lard entre
deux draps.
Cependant, il le connaissait assez bien Robert
pour comprendre qu’il ne lui adressait aucun reproche, et que cette leçon
n’avait pour but que de lui rendre une bonne santé...
– "Tu veux me faire faire un régime ?
Tu m’imagines redevenir maigre..."
– "Jamais de la vie !"
C’était un véritable cri du cœur. Mais Robert
n’en avait pas fini.
– "Je veux
que tu perdes cette mauvaise graisse. Je vais bien te nourrir, et te gaver
comme tu aimes, pour que tu reprennes du poids en bonne graisse !"
– "Comment
j’ai fait pour prendre de la mauvaise graisse quand c’est toi qui m’engraisse
comme un porc ?"
– "Je ne sais pas. Tu grignotes un peu entre
les repas ?"
– "Non... Enfin, je ne crois pas..."
– "Tu as toujours faim."
– "J’ai toujours faim ! C’est mal barré
pour ton idée de régime..."
– "T’en
fais pas pour ça... mais depuis deux mois, je te trouvais un peu... un peu
bouffi, comme si tu venais de te goinfrer avec des chips avant de passer à
table."
– "Des
chips ? Faut pas déconner... Oh ! mais j’y pense... et les granulés
que je donne aux cochons ?"
– "C’est pas des chips."
– "Non, mais... euh, comment dire... j’en ai
grignoté, c’est sûr."
– "Aha..."
murmura Quentin. "Mais ça peut pas expliquer une telle prise de poids...
et de gras comme ça !"
– "Mais si, ça peut être que ça."
– "C’est
pas si nourrissant. Et c’est même pas bon à goûter... Je connais mes produits."
– "Ben... en fait, ceux-là, tu les connais
pas."
Après lui avoir raconté comment il avait fait
l’acquisition de ces granulés en forme de perles, Quentin lui montra le sac qui
était ouvert, et comment les cochons s’en régalaient avec une voracité qui, sur
le moment, n’était pas sans rappeler la sienne !
– "Je vois,
je vois... Oui, c’est industriel, on ne sait même pas ce qu’il y a là-dedans.
Ça ne m’étonne plus. Voilà comment tu t’es engraissé la panse et les intestins,
comme un gros porc dans une usine !"
Pour le coup, Quentin eut honte d’avoir puisé
dans tous ces sacs au point de "grignoter" une vingtaine de bols par
jour. Le mal était fait. Il pesait plus de cent quatre-vingt kilos et il était
officiellement obèse...
Le gros garçon se blottit contre le torse
autrement ferme et musclé de son fermier.
– "Il faut que tu prennes soin de moi,
Robert... J’ai besoin de toi."
Il n’en fallait pas tant pour que l’ours
prenne l’ascendant sur le fermier. Quentin se sentit pressé, presque broyé dans
toute l’épaisseur de son lard entre les bras de Robert qui le couvrait de
baisers.
– "Allez,
ne t’en fais pas. On va te reprendre en mains, je vais te mettre au travail et
je vais te gaver encore mieux qu’avant..."
– "Tu me gaves déjà comme une oie !"
– "Je ne te
gave pas pour que tu te fasses du foie gras." Robert pressa le flanc de
Quentin, un peu sensible avec cet excès de mauvaise graisse qui l’enrobait. "Je
veux un beau cochon gras."
– "Plus de perles, alors."
– "C’est clair."
– "Je pourrais pas avoir des chips, de temps
en temps ?"
– "C’est pas parce que t’es
un cochon qu’il faut que tu bouffes des cochonneries."
– "Oink oink !" répondit Quentin, dans un élan de joie,
en se jetant au cou de Robert pour l’embrasser voracement.
■ ■ ■
Pendant quelques jours, Quentin
n’exécuta que des travaux de force : fendre des billots de bois, soulever
d’énormes sacs de sable, de gravier ou de ciment, transporter de lourds blocs
de pierre ou de fonte sur de courtes distances, à l’intérieur de la ferme –
rien qui réclame de sa part un effort trop longtemps soutenu pour son cœur...
Comme il s’y attendait, Robert trouvait le jeune homme moins endurant, à bout
de souffle en trop peu de temps, pressé de se rendormir pour laisser reposer
cette mauvaise graisse qui l’étouffait.
Il
fallait se rendre à l’évidence : sans être vraiment "trop lourd" pour les travaux qui l’attendaient, Quentin était
trop dodu et trop "adipeux" – pour reprendre
l’expression employée par Robert : il lui fallait s’exercer un peu et gagner
en souplesse, sinon en agilité. Tel qu’il se tenait ou se déplaçait dans une
pièce, c’était avec la maladresse d’un petit éléphant...
Heureusement pour lui, Quentin n’habitait pas une maison de porcelaine –
et le fermier qui s’occupait de lui usait de méthodes de choc pour briser sa
paresse et profiter au mieux des effets de sa gloutonnerie.
Pour commencer, il lui imposait de se lever très tôt : les deux
fermiers se réveillaient ensemble et descendaient ensemble jusqu’à la cuisine –
pas question pour Quentin de rester au lit à se prélasser en attendant que son
petit-déjeuner soit prêt. Au contraire, il aidait Robert à préparer les tartes
et les pâtisseries, pressait les oranges, coupait les fruits, pétrissait la
pâte, pelait les pommes de terre, nettoyait les légumes...
À
la grande satisfaction du fermier, le jeune homme ne se plaignait pas. Il
transpirait à grosses gouttes, en battant les œufs et en beurrant les moules à
gâteaux, en broyant les grains de café dans le vieux moulin, en épluchant les
carottes et en découpant les viandes. Il pleurait en coupant les oignons, bien
sûr, mais il était surtout en nage presque tout le temps. Au moment de
s’asseoir pour manger, il avait au moins mérité son repas – et un peu de repos.
Il soupirait d’aise en s’écriant :
– " À table, enfin... J’AI
FAIM !"
Heureusement pour lui, Robert n’avait nullement l’intention d’affamer le
jeune homme – au contraire ! mais il le nourrissait d’abord de veloutés de
potirons, de gratins de choux-fleurs, de courgettes poêlées, de tomates et
d’aubergines farcies : plus de légumes et moins de féculents, du fromage
plutôt que des sucreries, beaucoup de viande blanche et de poisson... Dès que
le beau cochon se trouvait bien rassasié, il le récompensait avec une bonne
tarte aux pommes mais surtout avec d’énormes saladiers remplis de crème fraîche
avec un peu de compote.
Ce
régime n’était pas pour le forcer à maigrir, mais pour lui faire "un bon estomac" – comme disait Robert – pendant qu’il dépensait tout son lard,
en travaillant du matin au soir.
À table, Quentin mangeait encore
plus vite que lorsque le fermier l’avait
gavé depuis plusieurs mois. Il dévorait, en prenant les pièces de viande
ou les parts de tarte à pleines mains, le plus souvent. Même les gratins ou les
légumes farcis étaient saisis par poignées, avalés au lance-pierre et repris
avec avidité jusqu’à nettoyer les plats.
Quentin se repaissait comme un vrai
porc – grognant de plaisir à chaque nouveau plat. Il avalait et mâchait bruyamment,
sans faire de manières. Robert lui avait refusé – à contrecœur, et
temporairement – de prendre du pain pour saucer les plats... Il lui faisait boire
une bonne bouteille de vin plutôt qu’une douzaine de chopes de bière, mais ces
petits plaisirs gourmands ne tarderaient pas à revenir au menu du jeune homme –
dès qu’il aurait repris des forces, et un meilleur équilibre corporel. Quentin
ne songeait qu’à se remplir le ventre, tant qu’il était assis dans la cuisine.
Le fermier approuvait cette disposition d’esprit et ces bonnes mauvaises
manières de goret bien gras...
Lorsqu’il avait fini les plats de résistance
et qu’il faisait une pause, en attendant d’être gavé pour son dessert, le
cochon rassasié gémissait de contentement.
– "Hmmm... comme c’est bon de manger !
Je me sens lourd."
– "Et gras !"
– "Oui,
très gras..." confirmait Quentin en rougissant, et en se donnant une
claque sur les flancs, pour voir son ventre rond onduler doucement, comme la
surface d’un étang où l’on jette un galet.
– "Tu manges toujours bien. Je dirais même que
tu as repris de l’appétit !"
– "C’est
vrai... J’avais tort de grignoter comme ça. C’était du gâchis, alors qu’un
festin m’attendait toujours."
– "Voilà ce qui arrive aux petits cochons
trop goinfres", s’amusait Robert.
Quentin pressait, tâtait et secouait, en soupirant, la molle couche de
lard qui s’étendait d’un flanc à l’autre comme une bouée, en s’épaississant
trop largement autour de son nombril, au point de couvrir ses intestins...
Toute cette graisse s’assemblait en une sorte de gros coussin qui faisait
obstacle entre lui et le bord de la table. Il en était d’autant plus alourdi
que le reste de son ventre était charnu à souhait. Même au moment s’asseoir à
table, il ne pouvait se déplacer que lentement et prudemment. À la fin d’un bon
repas, il était hors de question qu’il se lève de sa chaise avant une
demi-heure – le temps de digérer...
Le
gros garçon respirait encore avec efforts, même en se levant le matin, toujours
un peu trop joufflu et bouffi malgré ses efforts pour se reprendre en main. Il
fallait se rendre à l’évidence : Quentin avait besoin de temps,
d’encouragements et de patience avant d’espérer reprendre ses activités à plein
régime.
Il
y mettait la meilleure volonté du monde, mais son corps semblait se refuser à
le suivre, et à se défaire de son excédent de graisse corporelle... Robert s’en
était aperçu très vite. Rien ne lui échappait des progrès que faisait ou ne
faisait pas Quentin, tant il le couvait toujours du regard – tout en le
traitant assez rudement pour le motiver.
– "Allez, mon gros ! sur la balance."
Une semaine de changement complet dans l’alimentation, le sommeil et les
travaux de Quentin ne pouvait pas encore faire de miracles. Tout nu sur la
balance, le jeune homme pesait toujours cent-quatre-vingt kilos, et il montrait
tous les signes attendus de l’obésité chez l'adolescent – l’abondante masse de graisse
qu’il avait accumulée en se gavant de perles au chocolat blanc s’était
confortablement installée...
– "Alors ?..."
– "Pareil que l’autre jour, ou presque."
– "Seulement deux kilos de moins ?"
– "Et
encore ! Tu avais l’estomac plus rempli que ce matin. Comment tu te sens,
gros porc ?"
– "Euh...
comme un gros porc." Quentin tâtait son ventre à pleines mains. "J’ai
encore du mal à deviner un recul de la masse flasque..."
– "Je confirme. Elle est là, et bien là."
– "J’ai faim... Il faut que je mange. Et je
vais reprendre du poids..."
– "Oh oui !" commenta Robert en
riant. "Et pas qu’un peu !"
– "Qu’est-ce que je dois faire ?"
– "Travailler
plus pour transpirer plus, mon cochon. Je te l’ai dit, tu es trop grassouillet."
– "Transpirer plus... Je suis toujours en
sueur."
– "Et tu as
le souffle court. Mais ça reviendra... Tu te reposes trop. Il faut dormir, mais
je vais te faire faire de l’exercice."
Le
fermier souriait en voyant Quentin se dandiner comme un porc bien gras, en
descendant de la balance. Une des méthodes les plus efficaces pour faire
transpirer le gros garçon était de le garder tout contre lui au lit, et de lui
faire l’amour toute la nuit dans le plus grand nombre de positions possible.
Robert ne recommandait pas d’autre gymnastique.
Quentin s’efforçait de s’affiner un peu, en suivant le programme et les
instructions du fermier à la lettre, dans ses travaux quotidiens. Il pouvait se
déplacer un peu plus aisément, mais son ventre opposait des sursauts et des
remous lorsqu’il faisait un mouvement trop ample, en coupant du bois par
exemple.
De
jour en jour, les gestes lui revenaient en mémoire, lui redevenaient plus
naturels et il travaillait un peu plus aisément. Le plus dur restait de se
lever, de retrouver son équilibre et de faire les premiers pas. Le fermier
devait l’aider pour cela. Ensuite, il arrivait à se débrouiller seul.
– "Je suis
vraiment obèse..." se disait Quentin, parfois un peu triste. "Mais
j’ai tellement FAIM."
Si certains progrès étaient notables, en
effet, c’était surtout lorsque le jeune homme prenait place dans la cuisine
pour son petit-déjeuner, son déjeuner ou son dîner.
De
jour en jour, son appétit semblait plus affirmé. Quentin pouvait se régaler de
plats copieux et nombreux, il finissait toujours par réclamer des nourritures
plus riches pour satisfaire sa gloutonnerie. Et il se montrait si câlin, au
moment de supplier Robert de le gaver de crème fraîche et de beignets aux
pommes que le fermier avait beaucoup de mal à lui refuser ce qu’il appelait un "caprice" mais qui le réjouissait secrètement.
Le beau garçon était devenu aussi goinfre que
le plus appréciable de ses porcs les plus gras – et Robert ne pouvait manquer
d’apprécier combien le poids de Quentin, qui augmentait à nouveau doucement,
tant en muscle qu’en masse grasse, portait au paroxysme sa virilité, sa vigueur
juvénile et sa sensualité par nature un peu lourde...
– "Comment... Tu veux encore manger, gros
porc ?"
– "S’il te plaît... juste une douzaine de
beignets."
– "Avec de la crème fraîche par-dessus."
– "Hmmm... oui..."
– "Tu ne te trouves pas assez GRAS,
déjà ?"
– "Non..."
protestait doucement Quentin, l’air boudeur, ce qui était facilité par ses
joues bien rebondies. "Je veux manger encore..."
– "Je croyais que tu étais fatigué de
manger, encore et encore."
– "C’est vrai. Je suis fatigué. J’ouvrirai
la bouche, et tu vas me gaver."
– "Encore ?"
– "S’il te plaît..."
– "Tu as faim ?"
– "J’ai FAIM !"
Le regard du
beau garçon était tout simplement irrésistible.
– "Tu es vraiment un gros porc,
Quentin !"
– "Oink ! Oink !"
– "Allez,
je vais te gaver... Mais je vais te faire transpirer demain, jusqu’à ce que tu
sois déshydraté, mon petit cochon obèse !"
– "Grrroink..." grogna Quentin,
espiègle, tout sourire.
■ ■ ■
Petit à petit, le gros garçon retrouva un meilleur équilibre, des
muscles plus fermes et une carrure plus solide, moins enrobée dans la mauvaise
graisse qui l’étouffait trop vite, en toutes occasions. Il s’était habitué à
son poids, et à se déplacer lentement, avec précautions pour ne pas cogner ou
frotter son ventre contre des murs ou des meubles...
De
son côté, Robert s’était habitué aussi dans la compagnie de ce jeune homme
décidément très beau et décidément obèse, langoureux comme un chat dans la
chambre à coucher, vigoureux comme un ours dans la cour de ferme – et goinfre
comme un vrai porc dans la cuisine ou la salle à manger.
En
reprenant des forces, Quentin avait aussi repris de l’appétit, et il avait
encore pris du poids. Cela ne faisait aucun doute.
– "Allez, mon gros ! Les porcs sont
pesés. À ton tour sur la balance."
Pour la première fois depuis des mois et des mois, Quentin avait accepté
d’être pesé à jeun. Le petit-déjeuner l’attendait en cuisine.
– "Allez, allez ! Monte sur le plateau,
gros porc !"
– "Un petit moment..."
Quentin mesurait toujours un mètre quatre-vingt-dix, et il semblait plus
harmonieusement bâti, le teint frais, bronzé, bien en chairs... C’est avec
étonnement que les deux hommes virent la flèche de la balance pointer en face
d’un chiffre résolument "rond".
– "Sans déconner... Deux-cent kilos ?"
– "Deux-cent kilos !"
– "Ah, la vache... Je pèse deux-cent
kilos..."
– "Oh, le gros porc ! Tu pèses
deux-cent kilos !"
– "Deux-cent... Deux-cent kilos tout rond."
– "Deux-cent kilos bien gras... Et pourtant,
tu me parais plus sain et en bonne forme qu’avant."
– "Je me
demande si j’ai perdu même un kilo de ma mauvaise graisse... ou si j’en ai
perdu, qu’est-ce que j’ai dû stocker comme bonne graisse !"
Robert vint prendre le jeune homme dans ses bras. Il était fier de lui –
fier de son poids, de son appétit, de sa voracité même, de son corps plus dodu
et plus appétissant que jamais...
– "Tu as
perdu et tu as pris du gras. Mais c’est du bon gras, du bon lard... Si tu étais
un cochon, ton éleveur serait digne d’éloges."
– "Tu dis n’importe quoi..."
– "Pourquoi ?"
– "Parce
que je suis un cochon, d’abord..." murmura Quentin. "Et parce que mon
éleveur, c’est toi."
– "C’est vrai..."
– "Tu m’as
bien nourri, et gavé... et engraissé... Je suis un petit cochon... je veux
dire, un gros cochon bien lourd ! Mais même si je pèse un bon poids, tu ne
mérites pas encore des éloges."
– "Pourquoi ?"
– "Parce
que j’ai FAIM ! J’ai faim, et il faut qu’on fête ces deux-cent kilos. Je
veux que tu me gaves jusqu’à ce que je te dise d’arrêter de me nourrir.
D’accord ?"
– "Entendu ! Après tout, tu ne
repasseras plus deux-cent kilos."
– "C’est comme un anniversaire de cochon,
alors..."
– "On peut dire ça !"
■ ■ ■
Le festin de Quentin dura toute la
matinée... En début d’après-midi, le fermier considéra qu’il devait s’occuper
de ses bêtes. Le plus gros et le plus lourd de ses cochons était au lit, écrasé
de fatigue et de nourriture – il lui faudrait toute la soirée pour digérer...
En comparaison, les autres porcs et
porcelets lui semblaient bien minces, presque sveltes. Robert vint leur servir
de quoi satisfaire largement leur appétit, dans les grandes auges où ils se
pressaient. Il s’occupa ensuite de les gaver l’un après l’autre, des plus
jeunes aux plus vieux.
Il allait et venait d’un bâtiment à
l’autre. De temps en temps, il jetait un regard en direction du deuxième étage
et de la chambre à coucher d’où il pouvait entendre, en tendant l’oreille,
Quentin qui ronflait profondément.
Revenant sur terre, il aperçut, au
loin, une sorte de camionnette blanche qui roulait sur la grand-route... Son
sang ne fit qu’un tour et, ses réflexes d’ours protecteur aussitôt en éveil, il
adopta l’attitude d’un homme occupé à travailler dans la cour devant le
portail, attentif à tout ce qui l’entourait – mais qu’il vaudrait mieux ne pas
déranger.
Comme il s’y attendait – ou comme
il ne s’y attendait pas vraiment, mais comme il le redoutait sourdement – le
véhicule s’arrêta sur le bord de la route, en face de sa ferme.
Une jeune femme en sortit, vêtue
d’une blouse grise. Robert ne l’avait observée que du coin de l’œil, et
affectait d’ignorer sa présence. Son air renfrogné trahissait qu’il l’avait
remarquée. Mieux encore, il l’avait déjà comme jugée. Les vêtements qu’elle
portait, purement fonctionnels, ne rendaient pas justice à ses formes. En
sortant de sa fourgonnette, elle se redressa en prenant une pose de mannequin.
Robert soupçonnait qu’elle devait s’habiller de manière plus seyante, quand
elle n’était pas occupée dans son travail.
Le caractère professionnel de cette
visite inattendue était rendu clair et presque obligé par les grands noms et
messages floqués sur le véhicule, en lettres violettes sur le blanc de la
carrosserie : La jeune femme devait être représentante en alimentation
pour élevages ovins, bovins et porcins.
– "Bonjour ? Monsieur ?..."
Dans ces conditions, il valait mieux engager
la conversation et y couper court, pour ne pas perdre de temps.
– "Bonjour."
– "Excusez-moi... Je suis un peu perdue."
– "Ah..."
– "Je veux dire... J’ai peur de m’être
trompée de route."
– "Ça dépend. Vous allez où ?"
– "Je cherche la ferme... attendez..."
Elle lui dit un nom, griffonné sur une
feuille de papier. C’était bien sa ferme. Pour autant, Robert ne se montrait
pas plus accueillant.
– "Oui, c’est ici."
– "Ah, enfin ! Très bien..."
– "Vous venez pour quoi ?"
– "Vous ne
vous souvenez pas de moi, mais j’avais traité avec votre fils. Ou votre
apprenti..."
– "Ah ! ça doit remonter à un moment.
Mon fils a quitté la maison."
– "Votre apprenti, alors... Un beau jeune
homme..."
Elle lui décrit Quentin assez
exactement. Le fermier l’écoutait sans rien trahir de son émotion, mais cette
description lui serrait le cœur. Était-ce bien Quentin, ce jeune garçon mince
(trop maigre), élancé (efflanqué), un peu espiègle (câlin comme une peluche) et
aux yeux bleus (aux yeux d’un vert d’eau trouble et profond) ?
L’attention qu’elle portait à ces
détails le rendait plus méfiant qu’un tigre. Il devait se tenir à quatre pour
ne pas bondir et la plaquer au sol. Peut-être savait-elle quelque chose qu’il
ignorait, tout en l’interrogeant sur des détails futiles qu’il refusait de
partager ? Peut-être était-elle complice de la bande de ces anciens
amis ?
Peut-être n’était-ce rien, et ne
savait-elle rien. Il valait mieux qu’elle s’en aille, tout de suite, sans avoir
rien appris.
– "Je vois de qui vous voulez parler, mais
ça fait une paye !"
– "Comment... il est parti, lui aussi ?"
– "Vous
voyez la route par laquelle vous êtes venue ? Eh ben, vous aviez raison
tout à l’heure. Vous vous êtes bien trompée ! C’est pas une route faire
pour venir, c’est une route faite pour partir. Pour s’en aller... Et loin,
encore !"
– "Je vois..."
– "Vous voyez."
Elle ne bougeait pas. Le fermier
l’avait invitée à repartir avec un peu trop d’insistance, peut-être.
Elle semblait hésiter – elle
s’apprêtait à insister, en fait. Robert sentit le coup de partie qu’elle
entendait jouer. Il prit les devants pour attaquer à sa place.
– "Qu’est-ce que vous aviez traité avec
lui ?"
– "Mais...
je lui avais fait profiter d’une promotion sur notre toute nouvelle gamme de
produits. Je travaille dans la recherche agroalimentaire, et je lui avais
présenté nos granulés blanc perle, des granulés nourrissants et savoureux, très
appréciés, pour de bons gros cochons gras..."
– "Je vois..."
– "Vous voyez."
Le fermier ne "dégelait" pas, de toute évidence.
En songeant à la manière dont Quentin avait
engraissé en grignotant ces cochonneries, Robert n’avait pas tant de
compliments à faire à cette jeune personne, quoiqu’elle ait semblé montrer les
meilleures intentions.
– "De bons gros cochons
gras... Oui, évidemment, ça se passe un peu dans ma cour,
puisque je suis éleveur."
– "C’est ce
qui m’a mise sur la piste !" répondit-elle avec un rire qui n’était
pas forcé. "On les entend bien, vos cochons !"
– "Ah ? Oui, là ils mangent... Moi, je
suis habitué à les entendre grogner."
– "J’imagine... Alors ?"
– "Oui, alors ?"
– "Il en a profité, votre apprenti ?
Avant de partir, bien sûr..."
– "Profité de quoi ?"
– "De...
mon offre promotionnelle. Enfin, de nos produits pour engraisser les cochons."
– "Ah... Comment dire, oui... Oui, il en a
profité."
C’était le moins que Robert pouvait en dire. Quentin avait profité de
ces granulés "blanc perle", et de leur effet sur son tour
de taille, encore plus largement qu’il n’aurait dû !
– "Et... Il en était content ?"
– "Euh heu..."
– "Sans plus ?"
Elle semblait sincèrement déçue.
– "Oui, il
était content. Mais on ne s’est pas entendus sur ce produit et son utilisation.
Qu’est-ce que vous voulez ? je suis de l’ancienne école, moi. Je suis un
fermier traditionnel."
– "D’accord..."
– "Les
nouvelles technologies, tout ça... J’ai pas besoin de faire appel à
la-grosse-alimentaire pour faire bien grossir mes cochons."
La jeune femme hocha la tête,
admettant sa défaite.
– "Dommage... Enfin, je n’insiste pas..."
– "C’est pas pour vous faire de la peine que
je dis ça, remarquez."
– "Merci. Vous voyez, vous êtes gentil...
l’air de rien."
– "C’est vous qui avez trouvé l’idée pour
ces granulés ?"
– "L’idée ?
Euh... pour le nom, un peu. Pour la recette, on était une petite équipe de
chercheurs."
– "Des chercheurs ?"
– "Oui, des chercheurs."
– "Pour trouver une recette de
cuisine ?"
– "Si vous
voulez..." gloussa-t-elle. "Ce n’est pas vraiment une recette de
cuisine... mais le résultat est le même, et j’ai participé à bien étudier la
formule."
– "La formule ? Comme au restaurant,
alors."
– "C’est ça ! Vous voyez, vous avez
tout compris."
Elle s’amusait. Robert jouait
serré. Elle avait baissé sa garde.
Il valait mieux qu’elle continue à
rire ainsi : les ronflements de Quentin n’étaient vraiment pas discrets...
Depuis qu’il avait pris ces trente kilos de mauvaise graisse, le gros garçon
avait commencé à ronfler profondément et largement.
– "Et maintenant, vous vendez la recette.
Enfin, la formule..."
– "Au
contraire !" répondit-elle du tac-au-tac, avec un sourire malicieux.
"Vous l’avez bien dit, c’est comme au restaurant. Il s’agit de garder la
formule secrète... Disons que nous vendons nos granulés comme autant de bons
petits plats."
– "Des bons petits plats pour des gros
cochons..."
– "Il en faut pour tout le monde, et pour
tous les goûts."
– "Je suis bien d’accord."
– "Dommage
que ça ne soit pas de votre goût, à vous. Enfin, je veux dire, pour vos
cochons..."
– "C’est comme ça. Vous devez avoir du
succès, quand même !"
Non sans
quelque coquetterie, elle hésitait un peu à se confier.
– "Nous avons
obtenu de modestes succès, mais encourageants tout de même. Il faut dire que la
nouvelle école n’est pas du tout moins exigeante que l’ancienne... pour
employer votre expression."
– "Je le
crois volontiers. Mais c’est une affaire que vous avez montée en famille,
alors ? Ou en équipe ?"
– "L’un et
l’autre, figurez-vous... Il y avait ma tante et sa fille, et moi, et six autres
chercheurs. C’est ma tante Fabienne qui a trouvé la formule."
Les ronflements de Quentin avaient
cessé. Le gros garçon était occupé à digérer, ce qui devait certainement le
faire se tourner d’un bord à l’autre, dans le lit.
La conversation avait assez duré.
La jeune fille ne semblait plus disposée à insister, après avoir été amenée à
discuter de choses et d’autres, toutes très éloignées du sujet que le fermier
se refuserait encore obstinément à évoquer...
– "Oui...
Nous avons trouvé la formule, j’espérais me trouver sur les lieux. Tant pis..."
concluait-elle distraitement.
– "Je pense que vous saurez retrouver votre
chemin."
– "En fait... je n’en suis pas si sûre. Si
vous voulez bien m’indiquer, sur la carte..."
– "Où est-elle, votre carte ?"
– "Dans ma boîte à gants. Un instant..."
Au moment où elle traversait la rue, avec sa
carte dépliée devant elle, un rot inimitablement profond retentit – lourd et,
pour tout dire, rond au point de sonner "gras" – et résonna
longuement depuis le deuxième étage de la ferme...
– "BUUUUUUUUUUUUUUUUUURRRRRRRRRRRRRRRRRP !!!"
La jeune fille en fut frappée d’étonnement,
pratiquement immobilisée sur place, comme les bêtes terrifiées par un roulement
de tonnerre annonçant un orage.
– "C’était quoi, ça ?"
– "Quoi donc ?"
– "J’ai cru
entendre... C’est ridicule, mais... Oui, j’ai cru entendre un rot."
– "Ah ?"
– "Mais un rot... vraiment, un rot énorme !"
– "Eh ben, c’est un cochon."
– "Un cochon ?"
– "Évidemment."
– "Vous ne l’avez pas entendu ?"
– "Quoi ?"
– "Ce rot... Enfin, je crois que c’était
comme un cochon qui..."
Elle
n’arrivait pas au bout de sa phrase. Le fermier haussait les épaules.
– "Je vous l’ai dit, j’y suis habitué. Je ne
fais plus attention."
– "C’était bien un cochon, alors."
– "Pour ça, oui ! sans doute."
– "Il doit être gavé à bloc, votre cochon..."
– "Évidemment."
Robert s’amusait, à son tour, de
l’étonnement de cette jeune personne qui fournissait aux fermiers des produits
pour engraisser leurs cochons presque aussi rapidement que l’on aurait gonflé des
ballons de baudruche, et qui s’étonnait de les voir en faire un meilleur usage.
Il l’avait bien observée, pendant
qu’ils discutaient – il savait à quoi s’en tenir.
■ ■ ■
Revenue au village, la jeune fille
vint garer sa fourgonnette sous les arbres, dont le feuillage se dégarnissait.
Elle sortit furtivement et jeta un regard circulaire sur la place de l’église,
déserte à cette heure-ci.
Il n’y avait pas de réseau – bien
évidemment.
Non sans un soupir d’agacement,
elle fit le tour de la place et entra dans une cabine téléphonique.
– "Allo ?
Oui, c’est moi... Exactement. C’est ce qu’on pensait. Je sais, tout ça pour
revenir à la case départ ! Vous ne m’avez pas écouté, tant pis... Vous
avez seulement perdu votre temps. Et le mien. Mais j’avais raison... Je te dis
qu’il est là. J’en suis sûre... Non, je ne l’ai pas vu ! Qu’est-ce que tu
vas t’imaginer ?... Il se cache, mais il est là. Le fermier ? Oui,
c’est un problème, il en impose drôlement. C’est pour ça... Écoute, fais-les
revenir au moins pour récupérer les perles... Ah oui, Mammouth et les
autres ! On a besoin de gros bras ! Mais je suis bien de ton avis,
moi aussi. On s’en débarrassera plus tard..."
Un passant traversait la place pour
acheter du pain à la boulangerie.
– "Qu’est-ce
que tu dis ?... Oui ?... Non, je dois repartir au boulot. Et puis, si
ça se trouve, le vieux se méfie déjà... C’est ça, préparez-vous, de votre côté.
Ça risque de tourner au sale. Autant garder nos distances quand ils seront
occupés à saigner le cochon... Voilà. Entendu... On vous attend. Et ne tardez
pas trop !"
(À suivre...)